Comment avez-vous approché
le monde du logiciel libre ?
J'ai 40 ans, et cela doit faire 15 ans que je fais du
Libre, dont 8 années de manière professionnelle. En
1997, j'ai participé à la création d'Easter-Eggs, une
société de services. Puis, il a trois ans, nous avons
créé le réseau Libre-Entreprise afin de partager les
informations et les certaines ressources entre entreprises
spécialisées dans le libre et complémentaires. C'est
un regroupement de petites entreprises autonomes et
auto-gérées, mais où l'information est totalement partagée.
Easter-Eggs est dans les faits une SSII assez généraliste,
qui fait du développement et de l'administration autour
de produits Libres. Entr'ouvert est issu du modèle lancé
par Easter-Eggs et propagé par Libre-Entreprise, mais
a choisi un statut de coopérative, en définitive pas
forcément plus intéressant. L'objectif premier était
de faire du développement réellement libre.
Qu'entendez-vous par développement
libre ?
L'Open Source, en pratique, n'est pas bien différent
du développement propriétaire : on a beau préciser
au client que le code est ouvert et disponible, au final
celui-ci finit dans les poches du client et le projet
stagne.
Faire du libre, ce n'est pas uniquement donner les sources.
Il faut que la démarche soit réellement libre : créer
une communauté autour du projet, avoir un système de
rapports de bogues ouvert à tous... Il était difficile
de réaliser cette démarche au travers d'Easter-Eggs,
de par son activité assez généraliste, donc Entr'ouvert
tente une autre approche : nous développons des produits
ibres sur lesquels s'appuyer pour vendre des services.
Est-il possible d'imposer une
telle démarche en entreprise ?
Notre cas est particulier, nous avons un quasi monopole
sur la solution que nous développons, Lasso
(Liberty Alliance Single-Sign On). Grâce aux travaux
notamment de l'Adae
(Agence pour le Développement de l'Administration Electronique),
Liberty Alliance est assez populaire en France, donc les
français font appel à nous.
Nous travaillons principalement pour des filiales de France
Télécom et de la Caisse des Dépôts. L'authentification
forte est à la mode, donc en travaillant avec le haut
de l'administration française, nous nous trouvons proches
des décisions stratégiques en la matière.
Quel est l'écho que vous avez
rencontré face au libre ?
Ils ne connaissent pas la démarche du libre, c'est-à-dire
le développement public et ouvert vers l'extérieur. Leurs
contacts habituels sont les grandes SSII. Tout le monde
leur parle de l'Open Source, mais en pratique ils ne le
voient pas.
Il y a un gros travail d'éducation à faire. Par exemple,
dès que l'on parle de base de bugs publique, il y a un
véto des autres partenaires du projet. C'est en définitive
un combat par l'exemple. Très long, très dur, on avance
individu par individu, projet par projet.
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Le
problème est que le Libre est un métier à
faible valeur ajoutée" |
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Où trouvez-vous ces exemples
pour convaincre ces institutions ?
Majoritairement aux États-Unis, avec Red Hat ou Novell.
En France, il est très difficile de faire du vrai libre,
même en étant une SSLL (ndr : société de services
en logiciels libres). En France, les créatrices du
compilateur Ada libre (ndr : GNAT, par AdaCore),
ou en encore Disruptive
Innovations avec Nvu, sont des preuves que l'on peut
avoir une véritable démarche libre en France.
Pourquoi une si faible présence
du Libre en France ?
Le monde de l'Open-Source était déjà présent à l'époque
de la Bulle, où tout le monde voulait être le numéro une
dans sa catégorie en France, en Europe ou plus loin. Certains
ont grossi très vite pour éclater en même temps que la
Bulle. Quelques-uns ont survécu, mais en ce moment ce
mode de fonctionnement revient, ce qui est amusant à observer
: ils veulent grossir très vite, pour ensuite être rentables.
Le problème est que le Libre est un métier à faible valeur
ajoutée : il est très concurrentiel, et les marges sont
faibles. N'importe qui peut créer une SSLL par exemple.
Mais l'idée de prendre l'argent des investisseurs pour
les rembourser une fois la rentabilité venue, je n'y crois
pas. Voyez par exemple Alcove qui a été en grandes difficultés,
ou Linagora qui pratique la fuite en avant et entraîne
IdealX à sa suite.
En quoi vous démarquez-vous
?
Entr'Ouvert à tout de suite pris le parti d'être très
pointu, et de croître avec ses clients. Nous sommes une
petite entreprise qui marche très bien, et avec de bons
clients. Il existe des niches pour plein d'entreprises
prêtes à être proches de leurs clients.
Le libre a l'origine est fait par le coder pour
ne pas rendre de comptes au marketing. Mis à part certains
projets, comme le kernel Linux, le libre est artisanal,
et tient à une ou deux personnes principales, plus des
contributeurs éventuels. Mais à l'heure actuelle, certains
veulent singer les projets classiques : longues études
marketing, spécifications sans fin, chef de projet.
Nous cherchons de notre côté à faire du développement
itératif : une semaine après les premières discussions
avec le client, nous lui présentons une maquette fonctionnelle,
qui sera affinée encore et encore jusqu'au produit mené
à bien. Par ailleurs, nous enlevons les intermédiaires
en mettant le client directement en contact avec un interlocuteur
technique, ce à quoi la plupart ne sont pas habitués.
Dans votre définition, en quoi "libre" diverge-t-il de
"Open Source" ?
Pour simplifier, les grandes entreprises parlent d'Open
Source, tandis que les développeurs parlent de Libre.
Dans les faits, le développement ne change pas : nous
faisons le même travail qu'un SSII classique. L'important
dans le libre, c'est la démarche, créer une véritable
communauté autour d'un projet vivant.
L'Open Source est "vendu" comme étant forcément mieux,
moins cher, plus adaptable, mais surtout comme ne remettant
pas en cause le fonctionnement de l'entreprise. Mais pour
faire du Libre, il faut changer les démarches logicielles :
arrêter les analyses monstrueuses, publier le source à
la première ligne de code...
La réussite de nos projets, y compris économiquement,
nous motive pour faire de moins en moins de compromis
sur la manière dont nous traitons nos contrats : soit
toute la démarche est libre, soit cela ne nous intéresse
pas beaucoup, car c'est sans doute sans grand avenir.
Que représente le mouvement
Open Source pour vous ?
Petite anecdote : je travaillais avant sur la plate-forme
Newton, le PDA d'Apple. Tout allait très bien, quand Apple
à décidé d'arrêter ce produit. Du jour au lendemain, je
me suis retrouvé sans travail. Par la suite, je ne voulais
plus dépendre d'un éditeur.
En me basant sur le libre, je sais que le soft ne disparaîtra
pas brusquement. Je suis maître de mes outils. Aucun éditeur
ne décide pour moi. L'Open Source, donc, est pour moi
le moyen de faire de l'informatique comme j'en ai envie. |