INTERVIEWS 
 
Emmanuel Raviart
Développeur
Entr'ouvert
Emmanuel Raviart (Entr'Ouvert)
"L'Open Source n'est pas bien différent du propriétaire, mais le libre, oui"
Fondateur de plusieurs entreprises de développement libre, Emmanuel Raviart insiste sur la spécificité d'une démarche qu'il distingue clairement de l'Open Source.
10/10/2005
 
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Entr'Ouvert
Easter Eggs
 Libre-Entreprise
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par Alexandre Zapolsky (Linagora)

Comment avez-vous approché le monde du logiciel libre ?
J'ai 40 ans, et cela doit faire 15 ans que je fais du Libre, dont 8 années de manière professionnelle. En 1997, j'ai participé à la création d'Easter-Eggs, une société de services. Puis, il a trois ans, nous avons créé le réseau Libre-Entreprise afin de partager les informations et les certaines ressources entre entreprises spécialisées dans le libre et complémentaires. C'est un regroupement de petites entreprises autonomes et auto-gérées, mais où l'information est totalement partagée.

Easter-Eggs est dans les faits une SSII assez généraliste, qui fait du développement et de l'administration autour de produits Libres. Entr'ouvert est issu du modèle lancé par Easter-Eggs et propagé par Libre-Entreprise, mais a choisi un statut de coopérative, en définitive pas forcément plus intéressant. L'objectif premier était de faire du développement réellement libre.

Qu'entendez-vous par développement libre ?
L'Open Source, en pratique, n'est pas bien différent du développement propriétaire : on a beau préciser au client que le code est ouvert et disponible, au final celui-ci finit dans les poches du client et le projet stagne.

Faire du libre, ce n'est pas uniquement donner les sources. Il faut que la démarche soit réellement libre : créer une communauté autour du projet, avoir un système de rapports de bogues ouvert à tous... Il était difficile de réaliser cette démarche au travers d'Easter-Eggs, de par son activité assez généraliste, donc Entr'ouvert tente une autre approche : nous développons des produits ibres sur lesquels s'appuyer pour vendre des services.


Est-il possible d'imposer une telle démarche en entreprise ?
Notre cas est particulier, nous avons un quasi monopole sur la solution que nous développons, Lasso (Liberty Alliance Single-Sign On). Grâce aux travaux notamment de l'Adae (Agence pour le Développement de l'Administration Electronique), Liberty Alliance est assez populaire en France, donc les français font appel à nous.

Nous travaillons principalement pour des filiales de France Télécom et de la Caisse des Dépôts. L'authentification forte est à la mode, donc en travaillant avec le haut de l'administration française, nous nous trouvons proches des décisions stratégiques en la matière.

Quel est l'écho que vous avez rencontré face au libre ?
Ils ne connaissent pas la démarche du libre, c'est-à-dire le développement public et ouvert vers l'extérieur. Leurs contacts habituels sont les grandes SSII. Tout le monde leur parle de l'Open Source, mais en pratique ils ne le voient pas.

Il y a un gros travail d'éducation à faire. Par exemple, dès que l'on parle de base de bugs publique, il y a un véto des autres partenaires du projet. C'est en définitive un combat par l'exemple. Très long, très dur, on avance individu par individu, projet par projet.

Le problème est que le Libre est un métier à faible valeur ajoutée"
Où trouvez-vous ces exemples pour convaincre ces institutions ?
Majoritairement aux États-Unis, avec Red Hat ou Novell. En France, il est très difficile de faire du vrai libre, même en étant une SSLL (ndr : société de services en logiciels libres). En France, les créatrices du compilateur Ada libre (ndr : GNAT, par AdaCore), ou en encore Disruptive Innovations avec Nvu, sont des preuves que l'on peut avoir une véritable démarche libre en France.

Pourquoi une si faible présence du Libre en France ?
Le monde de l'Open-Source était déjà présent à l'époque de la Bulle, où tout le monde voulait être le numéro une dans sa catégorie en France, en Europe ou plus loin. Certains ont grossi très vite pour éclater en même temps que la Bulle. Quelques-uns ont survécu, mais en ce moment ce mode de fonctionnement revient, ce qui est amusant à observer : ils veulent grossir très vite, pour ensuite être rentables.

Le problème est que le Libre est un métier à faible valeur ajoutée : il est très concurrentiel, et les marges sont faibles. N'importe qui peut créer une SSLL par exemple. Mais l'idée de prendre l'argent des investisseurs pour les rembourser une fois la rentabilité venue, je n'y crois pas. Voyez par exemple Alcove qui a été en grandes difficultés, ou Linagora qui pratique la fuite en avant et entraîne IdealX à sa suite.

En quoi vous démarquez-vous ?
Entr'Ouvert à tout de suite pris le parti d'être très pointu, et de croître avec ses clients. Nous sommes une petite entreprise qui marche très bien, et avec de bons clients. Il existe des niches pour plein d'entreprises prêtes à être proches de leurs clients.

Le libre a l'origine est fait par le coder pour ne pas rendre de comptes au marketing. Mis à part certains projets, comme le kernel Linux, le libre est artisanal, et tient à une ou deux personnes principales, plus des contributeurs éventuels. Mais à l'heure actuelle, certains veulent singer les projets classiques : longues études marketing, spécifications sans fin, chef de projet.

Nous cherchons de notre côté à faire du développement itératif : une semaine après les premières discussions avec le client, nous lui présentons une maquette fonctionnelle, qui sera affinée encore et encore jusqu'au produit mené à bien. Par ailleurs, nous enlevons les intermédiaires en mettant le client directement en contact avec un interlocuteur technique, ce à quoi la plupart ne sont pas habitués.

Dans votre définition, en quoi "libre" diverge-t-il de "Open Source" ?

Pour simplifier, les grandes entreprises parlent d'Open Source, tandis que les développeurs parlent de Libre.
Dans les faits, le développement ne change pas : nous faisons le même travail qu'un SSII classique. L'important dans le libre, c'est la démarche, créer une véritable communauté autour d'un projet vivant.
L'Open Source est "vendu" comme étant forcément mieux, moins cher, plus adaptable, mais surtout comme ne remettant pas en cause le fonctionnement de l'entreprise. Mais pour faire du Libre, il faut changer les démarches logicielles : arrêter les analyses monstrueuses, publier le source à la première ligne de code...
La réussite de nos projets, y compris économiquement, nous motive pour faire de moins en moins de compromis sur la manière dont nous traitons nos contrats : soit toute la démarche est libre, soit cela ne nous intéresse pas beaucoup, car c'est sans doute sans grand avenir.

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par Alexandre Zapolsky (Linagora)
Que représente le mouvement Open Source pour vous ?
Petite anecdote : je travaillais avant sur la plate-forme Newton, le PDA d'Apple. Tout allait très bien, quand Apple à décidé d'arrêter ce produit. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé sans travail. Par la suite, je ne voulais plus dépendre d'un éditeur.

En me basant sur le libre, je sais que le soft ne disparaîtra pas brusquement. Je suis maître de mes outils. Aucun éditeur ne décide pour moi. L'Open Source, donc, est pour moi le moyen de faire de l'informatique comme j'en ai envie.
 
Propos recueillis par Xavier Borderie, JDN Développeurs

PARCOURS
 
 
Emmanuel Raviart, 40 ans, développeur.

2002 Fondateur d'Entr'ouvert, société coopérative spécialisée dans l'administration électronique et l'identité numérique.

2001 Fondateur de Libre-entreprise, réseau d'entreprises spécialisées dans le logiciel libre, contrôlées par leurs salariés et partageant entre elles l'information.

1997 Fondateur de Easter-eggs, société de service détenue par ses salariés et spécialisée sur GNU/Linux et les logiciels libres.