INTERVIEW 
 
Gaël Duval
Fondateur du projet
Ulteo
Gaël Duval (Ulteo)
"Mon objectif est d'obtenir un système qui puisse concurrencer Windows et Mac"
Evincé de Mandriva, société dont il était le fondateur, le créateur de la distribution Mandrake présente les motivations qui l'ont poussé à lancer le projet Ulteo, et sa vision particulière du Libre.
22/12/2006
 
JDN Développeurs. Le concept central d'Ulteo est de simplifier la maintenance du système et des applications. Comment votre distribution répond-elle à ce problème récurrent pour l'utilisateur Linux lambda ?
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Ulteo
Gaël Duval : Actuellement un utilisateur, qu'il soit sous Windows, Mac ou Linux, doit effectuer lui-même les installations et mises à jour du système d'exploitation, et des applications. Il doit également changer de système pour une version plus récente tous les X temps (4 ou 5 ans sous Windows, moins sous Mac, tous les ans sous Linux), s'il veut profiter des dernières nouveautés et continuer à bénéficier de mises à jour de sécurité par exemple.

C'est une perte de temps importante, et bien souvent, un utilisateur non expert éprouve des difficultés à effectuer ces tâches, ou demander de l'aide à un expert. Ulteo développe des concepts et des technologies qui ont, entre autres, comme objectif de reléguer au passé tous ces problèmes qui appartiennent au Moyen Age de l'informatique.

Ulteo est basé en partie sur Kubuntu et Debian. Ubuntu est déjà aujourd'hui considéré comme l'une des distributions les plus accessibles au grand public. Quelles sont les fonctionnalités que lui ajoute Ulteo ?
Ces systèmes Linux, comme Windows ou Mac, qu'ils soient plus ou moins simples à utiliser, opèrent exactement de la même manière dès lors qu'il s'agit d'administration système.

Linux, Windows ou Mac opèrent de la même manière dès qu'il s'agit d'administration système."
Ulteo propose quelque chose de vraiment nouveau, qui n'existait pas auparavant à ma connaissance, et qui consiste à voir un système informatique - OS et applications - comme un tout qui se met à jour en permanence par rapport à une image maître. Cette image maître est toujours considérée comme propre et à jour, elle est disponible sur des serveurs. Je tiens à préciser que ceci n'a rien à voir avec des concepts comme les "mises à jour" automatiques que l'on peut trouver sous Windows par exemple et qui conduisent inévitablement à des systèmes peu stables et mal mis à jour au bout d'un certain temps. Fussent-ils opérés par des experts.

C'est un défi technologique, car ce notre concept qui semble simple, repose sur le top des technologies actuellement disponibles, comme FUSE, UnionFS, Zsync etc. sans compter nos propres développements : Yuch et UGD pour commencer.

Que reprochez-vous aux autres distributions dans le domaine de la maintenance par l'utilisateur ?
Je reproche aux systèmes d'exploitation Windows, Mac, Linux et autres, de considérer qu'un utilisateur doit être un administrateur système. C'est comme si les conducteurs d'automobiles devaient eux-mêmes savoir réparer leur voiture ou leur télévision, l'améliorer etc. C'est possible, et certains le font, mais pas le plus grand nombre.

Je fais Ulteo pour que ma mère ou mon frère n'ait plus besoin de m'appeler pour régler un problème ou installer une application.

N'avez-vous pas eu peur, en créant le système Ulteo, de créer une nouvelle fragmentation du monde Linux, et donc d'asseoir malgré vous le poids de Windows face aux systèmes libres ?
Mon objectif n'est pas de concurrencer les autres distributions Linux, mais de faire d'Ulteo un système qui peut potentiellement concurrencer Windows et Mac. La concurrence au sein du monde Linux n'aurait effectivement aucun intérêt : j'aurais mille choses plus intéressantes à faire de ma vie dans ce cas.

Nous avons fait l'erreur de croire qu'avec un Linux pas compliqué, un miracle arriverait."
Croyez-vous en une popularité de Linux supérieure à celle de Windows ?
Je pense que nous avons commis une erreur fondamentale en tant qu'éditeur Linux - et je ne parle pas seulement de Mandrakesoft, mais aussi des autres -, c'est de considérer qu'en faisant un beau Linux pas trop compliqué à utiliser, un miracle arriverait et que tous les utilisateurs de Windows allaient se mettre à l'utiliser massivement.

Ca n'est pas arrivé pour deux raisons : tout d'abord, passer de Windows à Linux est un effort personnel considérable, voire un risque, dans le cas où ça ne se passe pas bien. Pour schématiser : on sait ce qu'on perd, pas ce qu'on gagne. Deuxièmement, Linux n'a rien apporté de fondamental par rapport à Windows comme "killer feature" qui pourrait justifier un engouement massif.

Pour ces raisons, l'adoption de Linux - pour le particulier - est restée cantonnée à des utilisateurs motivés par le côté "politique" - je ne veux plus utiliser Windows, je veux du logiciel libre - et qui avaient le courage et les capacités techniques pour apprendre.

La démarche avec Ulteo est totalement différente : j'observe des utilisateurs, je comprends leurs problèmes, ce qui les bloque et les rend moins efficaces dans leur utilisation de l'informatique, et j'envisage des solutions pour répondre à ces besoins.

Où vous situez-vous dans le débat Libre/Open Source ?
Je crois au Logiciel Libre selon la définition de la FSF, et qui est pour moi quasiment équivalente à l'"Open Source", selon la norme de l'OSI. La FSF elle-même l'écrit : "The official definition of “open source software,” as published by the Open Source Initiative, is very close to our definition of free software". Et les licences libres acceptées par l'OSI sont quasiment les mêmes que celles acceptées par la FSF, à une ou deux exceptions près.

Linux n'a pas rien apporté de fondamental par rapport à Windows."
Ceci implique des règles extrêmement précises sur la manière dont peut être utilisé le code source. Ces règles sont l'objet du concept de Logiciel Libre. Pour simplifier : on a le droit de modifier du code source libre pour créer un nouveau logiciel, à condition de diffuser les modifications effectuées à ce code source, et de conserver les droits d'auteur. Et un logiciel est libre si son code source est publié, diffusable et modifiable selon les règles de la licence libre choisie par son auteur.

Je ne suis ni affilié à la FSF, ni à l'OSI. Ma préférence personnelle va à la GPL v2 qui est une excellente licence à mon avis.
Concernant le coté politique de la chose, je m'en méfie énormément, surtout lorsqu'il tourne au dogmatisme ou à l'extrémisme.
Au risque de faire bondir certains, j'ajoute qu'il y a des gens très sympas et ouverts d'esprit dans le monde du logiciel libre, et des gens sectaires et abominables dans le monde du propriétaire. Mais le contraire est vrai aussi.

Vous projetez de mettre des composants non-libres dans Ulteo, comme Flash, ou les drivers essentiels. Que vous inspire le combat des partisans du tout-libre ?
Ma démarche est très claire dans ce domaine : un composant librement diffusable, même non libre, et qui va rendre service à des millions d'utilisateurs, c'est toujours mieux que rien du tout. Je sais que je suis en désaccord profond à ce sujet avec certaines personnes. Dont une bien connue. Mais j'assume ce choix. L'informatique est faite pour être au service de l'utilisateur, pas le contraire.

Maintenant je n'ai pas varié d'un pouce sur cette position depuis 1998, et j'ai tenu mes engagements. Quand Richard Stallman m'écrivait au début de Mandrake pour demander de retirer Netscape Navigator, je lui répondais que nous le ferions dès qu'un logiciel libre équivalent en termes de fonctionnalités se présenterait, et nous l'avons fait réellement, très rapidement.

Ensuite, Mandrakesoft a largement financé KDE et GNOME, et d'autres. Soit indirectement, en payant des développeurs, soit directement, par plusieurs dons conséquents de plusieurs centaines de milliers de Francs au total. Nous avons acheté des logiciels propriétaires pour les passer en licence libre, Bochs et Plex86. J'ai aussi plaidé personnellement auprès de Troll Tech pour qu'ils passent Qt en GPL jusqu'à ce que ça arrive.

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Ca me semble beaucoup plus efficace de faire cela plutôt que de prier que ça arrive un jour ou bouder dans son coin. L'objectif réel de tous les partisans du libre devrait être clair et orienté vers l'efficacité, pas sur des discours politiques creux.

Plusieurs mois après la fin de votre aventure Mandrake/Mandriva, quel regard portez-vous sur ces années ?
J'aurais du prendre davantage de congés [ndlr rire].
 
Propos recueillis par Xavier Borderie, JDN Développeurs

PARCOURS
 
 
Gaël Duval, 33 ans, dirige le développement du projet Ulteo.

1998 Crée Mandrake Linux et fonde Mandrake Soft, devenu par la suite Mandriva. Il est remercié en mars 2006.